Films

Noces : une héroïne, un destin

2 min.
Noces est un film fort et complexe. Et terriblement humain. Il n’y a pas de bons et de méchants, de victimes et de bourreaux.
Noces est un film fort et complexe. Et terriblement humain. Il n’y a pas de bons et de méchants, de victimes et de bourreaux.
Estelle Toscanucci

Estelle Toscanucci

Voir Noces, c’est inévitablement se remémorer l’affaire Sadia Sheikh. Le film s’est sensiblement inspiré de l’histoire de cette jeune étudiante en droit de Charleroi, tuée par son frère aîné parce qu’elle ne voulait pas épouser un jeune homme pakistanais. Ce crime d’honneur, largement relaté par la presse, nous avait été présenté comme un vaste complot familial mettant en scène une jeune femme éprise de liberté confrontée à un environnement obtus et aveuglé par le maintien des apparences. Point. Presque final. Le film du réalisateur belge Stephan Streker dépasse cette vision manichéenne.

Quand l’amour ne suffit pas

Raconter une histoire, c’est prendre le temps de connaître ceux dont on parle et de tenter de les comprendre. Si le film ne se détache jamais de Zahira, il ouvre d’autres portes. Et nous rappelle que chacun d’entre nous a son propre horizon, et ses limites. Les points de vue des uns ne sont pas plus recommandables que ceux des autres. Stephan Streker ne prend parti pour personne. Il filme le quotidien d’une famille belgo-pakistanaise. Nous montre comment elle tente de trouver son équilibre entre le quotidien dans un pays d’occident et les traditions culturelles originelles. Comment on passe du français à l’ourdou, en fonction du contexte et des sujets de conversations. Quelles sont les résistances des uns et des autres.

Pas un instant, le spectateur ne doute de l’amour que chacun des membres de cette famille porte aux autres. Mais l’amour, parfois, n’est pas le plus fort. C’est l’apparence qui prend le dessus. Zahira, en refusant son destin de femme pakistanaise, condamne l’ensemble de sa famille. On le sent, il n’y a pas de conciliation possible.

Tragédie

Au-delà de la dimension sociale, Noces est une véritable œuvre cinématographique. On y apprécie le travail intelligent autour de la musique – peu mais bien présente –, la très belle photographie et la force du récit, qui utilise les codes de la tragédie. On pense aux références grecques et aux textes de Racine. Aux héroïnes, qui, malgré leur force, ne pourront échapper à leur destin. Une autre force du film, c’est incontestablement son casting. Le jeu introverti de Lina El Arabi (Zahira) et de Sébastien Houbani (Amir) renforcent l’attachement du spectateur aux personnages.

Noces est un film fort, subtil, complexe. Et terriblement humain. Il n’y a pas de bons et de méchants, de victimes et de bourreaux. Noces nous invite à la vigilance, à dépasser la première couche de vernis et à multiplier les points de vue. Sans pour autant tout accepter, comprendre ou pardonner. Chacun se fera son opinion. Et acceptera que Noces l’accompagne encore un petit moment, dans la tripes et dans la tête.

Pour en savoir plus ...

>> Noces de Stephan Steker • Belgique/France/Luxembourg/Pakistan • 2016 • 1h38 • Avec Lina El Arabi, Sébastien Houbani, Babak Karimi, Neena Kulkarni, Olivier Gourmet, Alice de Lencquesaing, Zacharie Chasseriaud, Aurora Marion…