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La résistance face à l'esclavage moderne

3 min.
(c)ZinTV
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Soraya Soussi

Soraya Soussi

Elles s'occupent des enfants de leurs employeurs, nettoient la maison, repassent les vêtements, se chargent des courses... Elles ne peuvent se déplacer librement en ville. Elles sont sous-payées et exploitées. Elles ne peuvent se soigner correctement ou prendre des jours de congés... "Elles", ce sont des travailleuses domestiques sans papiers. Pour sortir du silence et défendre leurs droits, en 2018, avec la CSC-MOC Bruxelles, elles ont créé la Ligue des travailleuses domestiques. En 2020, elles sortent, en collaboration avec le média d'action collective Zin TV, un documentaire : "Nous, les domestiques modernes" pour dénoncer les violences et injustices dont elles sont les cibles. "Nous, celles que vous appelez les bonnes, les nounous, les servantes, les esclaves modernes, vous allez nous entendre !", préviennent-elles.

Dans le respect de leur anonymat, ces femmes en situation irrégulière témoignent de leurs craintes et de leurs espoirs. Elles s'arment, caméra à la main, pour faire entendre leur voix. Durant plusieurs mois, les militantes de la Ligue ont participé à des ateliers vidéo, ont construit le scénario collectivement, se sont interviewées pour rendre compte de la peur au ventre vécue à chaque fois qu'elles prennent le métro, par crainte d'être contrôlées et envoyées dans un commissariat. De la difficulté parfois de s'occuper des enfants des autres, quand elles ont dû laisser les leurs dans leur pays d'origine. Mais aussi, de la force d'être ensemble, entre femmes, de l'entraide et l'amitié qui permettent de tenir, de se battre pour l'avenir...

Corvéables à merci

"Au 21e siècle, l'exploitation salariale existe encore. Et ce n'est pas seulement ici, c'est mondial", lance l'une des protagonistes du documentaire. Travailler au domicile d'un particulier en étant sans papiers peut mettre les travailleuses dans des situations de grande vulnérabilité : "Selon une enquête réalisée par la CSC en 2017, une travailleuse du nettoyage sur trois est victime de violences sexuelles au travail. On imagine aisément que dans le secteur non formel, cette proportion est encore plus importante, voire généralisée", interpellent Eva Jiménez Lamas et Magali Verdier, de la CSC-MOC-Ciep Bruxelles (1). Leur isolement dans l'espace domestique ne permet pas toujours une prise de conscience collective de leur situation. La peur de perdre leur emploi ou pire, d’être renvoyées dans leurs pays d’origine ou en centre fermé, les retient de porter plainte contre leur employeur en cas d’abus.

Indispensables à nos sociétés

Dans un contexte de pénurie des métiers du soin et de vieillissement des populations des pays du Nord, de nombreuses familles recrutent des femmes migrantes pour assurer un travail que ni elles ni l’État ne veulent prendre en charge. "Les femmes migrantes aujourd’hui en Belgique sont l’illustration même de la Global care chain (la chaîne globale du soin) : elles laissent leur propre famille dans leur pays d’origine et les confient à d’autres femmes pour venir ici garder nos enfants, nos parents et nos malades", analysent Magali Verdier et Eva Jiménez Lamas.

Outre la nécessité de permettre à ces femmes de vivre dignement et de jouir des droits fondamentaux, la société gagnerait à les régulariser : "Elles payeraient des cotisations sociales et des impôts. Le manque à gagner pour les caisses de la sécurité sociale pour 50.000 femmes vivant et travaillant au noir est estimé à 29 millions d’euros par mois."

La sororité contre la précarité

Si le documentaire rend compte des difficultés quotidiennes rencontrées par les travailleuses, il souligne aussi et surtout leur solidarité et leur force de lutte. "Se reconnaître dans les témoignages des autres femmes m'émeut énormément et me donne envie de continuer la lutte, non seulement pour moi, ma famille mais aussi pour toutes les autres travailleuses et celles qu'on ne voit pas", témoigne l'une des protagonistes.

Le 2 mars dernier, quelques jours avant la journée internationale des droits des femmes, le documentaire "Nous, les domestiques modernes" a été projeté au Parlement européen à Bruxelles pour sensibiliser les députés. Aujourd'hui, la Ligue des travailleuses domestiques a récolté suffisamment de signatures de la part de citoyens et citoyennes pour être présente à la Commission "Affaires économiques et emploi" du Parlement bruxellois et entendre la position des partis quant à leurs revendications dans une motion adressées aux chefs des partis en juin 2022.

>> Pour visionner le documentaire : zintv.org