Films

La jeune fille à la paille

3 min.
Un film réalisé pour
Un film réalisé pour "transformer les citrons amers et acides de la vie en une délicieuse Margarita".
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Elle est mignonne, Laila. La jeune Indienne s'épanouit de plus belle lorsqu'elle réalise qu'elle plaît aux garçons de son âge. À l'école, elle a un petit copain, avec qui elle blague chaque fois qu'elle le peut. Il la détourne un peu de son groupe rock, dont elle doit écrire le texte des chansons. Bref, une vie d'ado assez classique, dans un quartier néanmoins très aisé d'une ville d'Inde. Ah oui, Laila a aussi une particularité : elle ne tient pas sur ses jambes. Frappée d'un handicap moteur, elle ne se déplace qu'en fauteuil roulant et sa motricité fine est laborieuse. Elle a aussi une élocution difficile qui, pour être intelligible par ses interlocuteurs, demande une certaine habitude, sinon un réel effort.

Brillante à l'école, elle décide, avec ses parents de s'inscrire dans une faculté américaine. C'est là qu'elle s'émancipera et se découvrira, non sans troubles et questionnements sur sa vie affective et sentimentale. Symbolique, sans doute : c'est de sa rencontre, à New York, avec une jeune… Pakistanaise que naîtra la découverte de l'amour et de son identité sexuelle.

Un toast à la vie

Le film de Shonali Bose, réalisatrice bien connue en Inde pour son engagement social et politique, est le fruit d'une double expérience. La mort de son fils âgé de 16 ans, frappé par un accident domestique. Et le choc ressenti lors d'une discussion, un jour à Londres, avec sa cousine de 39 ans victime d'une paralysie cérébrale, dans laquelle celle-ci lui affirmait haut et fort vouloir découvrir, avant son anniversaire de quarante ans, ce que signifie faire l'amour. Après une longue maturation, Shonali Bose a écrit ce film "dans un creuset de mort, d'acceptation et de besoin d'aller de l'avant. Pour transformer les citrons amers et acides de la vie en une délicieuse Margarita. Et porter un toast".

Ce toast à la vie, on le sent dans tout le film, riche de tendresse et d'humanité. Margarita, with a straw aborde la naissance du sentiment amoureux chez les adolescents. Qu'ils soient porteurs d'un handicap ou pas, d'ailleurs… Sauf que Laila, elle, court en permanence le risque de voir son infirmité instrumentalisée par son entourage : les garçons, qui prennent peur en découvrant qu'el le s'attache vraiment à eux; les adultes, qui maquillent leur pitié (intolérable pour elle) sous un vernis de générosité à bon compte; et jusqu'à Khanum, son amie pakistanaise, qui la suspecte de vouloir "décrocher à tout prix un certificat de normalité" en sortant avec de jeunes américains parfaitement "normaux". Laïla sera vite ébranlée par cette amie sensuelle, par ailleurs malvoyante…

En somme, c'est l'estime de soi qui fait le centre du film, à travers l'histoire d'une relation mère/fille.

Mise à nu

Plus encore que cet éveil aux émois amoureux, c'est l'orientation sexuelle de Laïla qui nourrit la trame du film. Troublée par son désir, la jeune femme ne sait où le poser, comment le vivre sans mentir, sans cacher. En pleine découverte de son corps, elle se met à nu dans tous les sens du terme, ce qui lui vaudra quelques solides déconvenues avec les deux sexes. À l'issue de ses confrontations, Laïla verra son identité profonde clarifiée, consolidée. Et permise, il est vrai, par une mère aimante et disponible .

En somme, c'est l'estime de soi qui fait le centre du film, à travers l'histoire d'une relation mère/fille. Dans ce sens, il est universel. Seuls l'amour et la bienveillance - celle des proches et celle d'une société libérée des conventions comme peut l'être la société new yorkaise - permettront à Laïla de se réaliser pleinement. Le regard de l'autre, la stigmatisation du handicap, la difficulté d'envisager la sexualité des personnes porteuses d'une infirmité : autant de thèmes traités ici qui font penser au formidable Gabrielle, de Louise Archambault (Québec, 2013), même si le film indien, magistralement interprété, n'a pas pour autant la même consistance. Il pêche, notamment, dans la psychologie (un peu superficielle) de quelques personnages secondaires. Outre diverses distinctions en Europe et en Amérique du Nord, il a notamment reçu le Grand prix RTBF Long métrage à l'Extraordinary Film Festival 2015, centré sur l'image du handicap dans la société.

Pour en savoir plus ...

Margarita, with a straw, de Shonali Bose, avec Kalki Koechlin, 1h40. Le film est programmé à Bruxelles, Liège, Mons, Ath et Marche.