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Cinéma : "Réparer les vivants"

3 min.
© Réparer les vivants
© Réparer les vivants
Catherine Daloze

Catherine Daloze

Au départ, il y a Simon, un jeune amateur de surf. Un vrai mordu en quête de ces états de grâce avec les vagues en complice. Avec lui, le spectateur plonge littéralement au cœur de la grande bleue, bien nommée même dans la grisaille du Nord. De retour après une aube sur la mer, Simon et ses comparses surfeurs ont un accident de Van. Les lésions de Simon se révèleront irréversibles. Il est en état de mort cérébrale.

Au final, il y a Claire, mère de deux grands jeunes hommes. Son souffle est de plus en plus cours, son état de santé s'aggrave. Elle est condamnée. Elle revivra, grâce au cœur de Simon. Grâce aux parents de Simon qui accepteront ce don de leur fils. Grâce aux équipes médicales efficaces, attentives… Entre Simon et Claire, il y aura le trajet d'un cœur, d'une aube à une autre. Un temps succinct tant il est compté pour l'organe à transplanter. Un temps aux allures d'éternité parce que c'est de vie, de mort, de perte, d'abandon… dont il s'agit.

Entre Simon et Claire, il y aura d'autres héros. Car l'histoire ne s'attache pas uniquement au donneur ou au receveur. Elle fait la part belle à chaque protagoniste, à leurs vécus, à leurs intenses présences : Marianne et Vincent les parents de Simon, le docteur Révol qui tente d'expliquer que, malgré les apparences, la mort a bien frappé, Thomas médecin coordinateur de la transplantation, bouleversant d'humanité et de respect, les jeunes chirurgiens qui filent en avion d'un hôpital à l'autre pour prélever et greffer le cœur, l'infirmière de garde depuis de nombreuses heures… Une chaîne humaine.

Caméra et prise de son – tel le frôlement de pantalon dans le couloir de l'hôpital – témoignent d'une grande proximité avec les acteurs, de leurs fragilités d'humain. On pleure. On rit aussi. Katell Quillévéré, la réalisatrice, entraîne le spectateur dans un enchaînement de moments comme suspendus. Sans que soit occultée la réalité médicale : ces deux corps ouverts, ce cœur battant… Le clinique et l'émotionnel se conjuguent de manière très réussie. Un film – comme le livre – à découvrir sans hésiter, sans penser non plus en ressortir indemne.

Regard médical

La salle du Caméo à Namur est remplie, ce lundi 22 novembre. Les étudiants en médecine de l'Université voisine se sont déplacés en masse. Ils sont venus voir le film et entendre leurs professeurs. Le pneumologue Éric Marchand, le cardiologue Claude Hanet et Robert Dion, chirurgien cardiaque aujourd'hui retraité, sont réunis pour une rencontre après la projection par les Grignoux, gestionnaire du cinéma. Ils entendront aussi un patient qui a reçu une greffe de poumons voici quatre ans. Coup d'oeil sur les commentaires de spécialistes, après le film.

Conforme à la réalité… à quelques détails près

"Le film est très réaliste. Même si dans la réalité, le cœur bat plus fort. Il s'agit d'une médecine d'équipes. Le chirurgien est un des maillons."

"Le choix du receveur fait l'objet d'un matching très précis, avec des éléments tels que la taille du cœur – dans ce cas de figure, le groupe sanguin, le degré de priorité, la date d'inscription sur la liste des receveurs potentiels… Avant l'inscription sur cette liste, les médecins s'assurent que le patient prendra soin de certains facteurs de risque. Notamment le tabagisme. Le film met l'accent sur l'aspect psychologique : 'accepter le cœur d'un autre'. Mais il s'agit aussi d'accepter de prendre soin du cœur d'un autre. En s'abstenant de fumer, notamment".

"Accepter un greffon, c'est entrer dans une équipe : ne pas décevoir l'équipe de transplantation, ni le donneur".

Avis aux futurs médecins

"Il y a une grande imperméabilité entre les équipes de sauveteurs et de transplanteurs. L'hermétisme doit être complet entre ceux qui soignent le blessé qui arrive aux urgences et les transplanteurs. Il n'y a pas de dialogue avant que la décision de transplantation soit évidente".

"Ces situations sont toujours terriblement poignantes. Le corps donneur – très souvent jeune – est en meilleur état que celui du receveur. Il s'agit du passage d'une vie magnifique à un don."

"Il est impossible éthiquement et humainement de ne pas demander l'avis des familles avant d'effectuer une transplantation. Signaler de son vivant sa position aide les équipes à passer un cap difficile dans la quête d'organe".

Que chacun y ait réfléchi

"Nous sommes tous ici des donneurs potentiels, sauf si nous sommes allés à l’administration communale indiquer notre refus. Pour la loi belge, en cette matière qui ne dit mot consent. Mais si on est favorable au don de ses organes, il est toujours mieux de s'être déclaré soi-même comme donneur auprès de sa commune. Ainsi les choses sont plus claires pour les proches."

"Les familles qui ont dit "oui" à temps me semblent plus paisibles que celles qui regrettent d'avoir attendu les avis des uns et des autres, et qui se sont décidées trop tard. Mais le choix pour les familles est extrêmement douloureux. Il ne faut critiquer personne."

Pour en savoir plus ...

>> Réparer les vivants de Kattel Quillévéré • France/Belgique • 2016 • 1h43 • Avec Tahar Rahim, Emmanuelle Seigner, Anne Dorval, Bouli Lanners…