Bien être

Communiquer en paix, par temps de crise

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Soraya Soussi

Soraya Soussi

Le confinement nous a éloignés les uns des autres ou au contraire, trop rapprochés dans des espaces clos, parfois très restreints. L'impatience, l'intolérance, la difficulté de s’exprimer avec bienveillance ont généré une série de conflits, tant dans la sphère privée que professionnelle. Les méthodes de communication non violente peuvent être un outil afin de renouer des liens sereins avec l'autre mais aussi et surtout avec soi-même.

Histoire d'un rapport non-violent

Le concept de "non-violence" ne date pas d'hier. Quand Ghandi amorce, au début du 20e siècle, sa lutte contre les discriminations en Afrique duSud d'abord, puis en Inde, il prône la "satyagraha", doctrine fondée sur la maîtrise de soi et le respect de la vérité. (1)

La communication non violente n'a cessé d'évoluer en inspirant nombre de sociologues, scientifiques, médecins,etc. Parmi eux, Marshall Rosenberg, psychologue praticien américain d'origine juive, né en 1934, qui immigre avec sa famille aux États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale. Bagarreur dans sa jeunesse mais désavantagé par sa faible force physique, les raclées l'ont amené à penser ses rapports aux autres différemment. Fasciné par les relations humaines, le jeune homme entreprend des études de psychologie. L’idée de développer un outil dédié à la communication non violente lui est inspirée par sa pratique de psychologue en milieu hospitalier. "Quand il voyait la manière dont on écoutait certains patients, il était sidéré par le manque d'humanité de la part du personnel soignant. Il a également constaté auprès de ses étudiants un manque profond d'humanité lorsqu'il les soumettait à une simulation pour aider un patient souhaitant mettre fin à ses jours, par exemple", détaille Martine Marenne, formatrice en communication non violente et directrice générale du Réseau francophone de la CNV (2). 

La CNV : quésako ?

Sa méthode pour désamorcer les situations tendues repose sur quatre étapes qui doivent aider l'individu à prendre une certaine hauteur pour s'écouter tout en faisant preuve d'empathie vis-à-vis de son interlocuteur : observer les faits, identifier ses sentiments, cibler ses besoins et formuler une demande.

1 : les faits. Souvent nos inconforts sont le résultat d'amalgames entre les faits et les ressentis. Rosenberg suggère de distinguer les faits, de ce que la situation a activé comme sentiments. "On se place en mode caméra pour observer ce qui se passe à l’extérieur comme à l’intérieur de soi. À ce stade, on utilise une forme d'intelligence rationnelle : la mémoire des faits, en tentant de rester le plus neutre possible." C’est sans doute l'étape la plus compliquée, prévient Martine Marenne.

2 : les sentiments. Après avoir observé ce qui se passe dans une interaction, la personne va ressentir un confort ou a contrario, de l'inconfort. L'état émotionnel n'est évidemment pas choisi. Mais il traduit des besoins "qui sont pour la plupart universels".

3 : les besoins."Ils répondent souvent à une recherche de sécurité. Quand une personne est inquiète, contrariée, apeurée...derrière ces expressions sentimentales se cache le besoin d'appartenance, de sécurité affective, financière, etc." Si les sentiments peuvent être causés par une tierce personne, ils sont malgré tout étroitement liés à un besoin qui nous est propre. Ce qui offre une marge d’action importante puisque dépendant seulement de nous.

4 : la demande. Elle se fera en conscience du besoin qu'on aura identifié comme devant être satisfait et nourri. La personne peut alors l'exprimer à son interlocuteur et construire un dialogue serein afin de dissiper la tension.

Dans cet exercice, Martine Marenne souligne l'importance de prendre conscience des intentions qui guident nos interactions. "Lorsqu'elle est négative, elle peut se traduire comme l'intention de faire payer quelque chose à l'autre, de l'humilier, de le critiquer ouvertement, etc." Ces intentions sont évidemment parfois inconscientes. "Quand vous réagissez au quart de tour, que vous êtes offensé, c'est votre égo qui est blessé. Il s'est construit lors de notre histoire de vie. S’il peut être utile et servir de bouclier, parfois, il nous dessert dans nos dynamiques relationnelles." Pour l’experte en communication non violente, la dimension temporelle doit également être conscientisée. "Quand on rumine et qu'on entretient une forme de colère, nos pensées sont souvent figées dans le passé. On reste coincé dans un espace-temps qui n'existe plus et sur lequel on n'a plus aucun pouvoir d'action. Aussi, quand on appréhende, que l'on a peur, on est alors parfois projeté dans un temps futur qui n'existe pas non plus. La CNV invite à rester dans le temps présent pour activer notre pouvoir d'action."

Pas une méthode miracle

"Approcher la CNV, c'est amorcer une transformation sociale dans nos sociétés. Tout part de soi mais dans la perspective d'aller à la rencontre de l'autre. Cette rencontre va me demander d'apprécier là où l'autre est situé émotionnellement, rend compte Martine Marenne. On ne va pas immédiatement transmettre tout ce que l'on vit dans l'instant car la personne en face de nous n'est peut-être pas dans la capacité d'accueillir ce que je ressens." Il s'agit donc de trouver un équilibre entre l'écoute de soi, l'identification de nos besoins et l'empathie envers l'autre, au risque de rompre le dialogue, voire de devenir tyrannique.

Si la CNV peut servir de repère dans une démarche communicationnelle, elle ne peut être réduite à une technique qu'il suffit d'appliquer pour résoudre toutes les tensions dans nos rapports humains. Comme le précise Julien Lecomte, formateur en CNV et chargé de communication à l'Université de Paix de Namur (3) :"Il ne s'agit pas d'appliquer la CNV de manière protocolaire. Ce qui est possible avec la CNV, c'est faire preuve d'auto-empathie et prendre le temps de faire cet exercice de prise de conscience. Cela permet d'ouvrir les horizons sur différentes stratégies à mettre en place : 'Là, je suis devant mon écran et je me sens tendu. J’ai besoin de contacts sociaux, de nature. Qu’est-ce que je peux faire pour nourrir ces besoins ? Sortir et me balader ou voir une personne.' " 

Martine Marenne confirme : "On ne sait pas toujours comment réagir sur le moment, alors on s’emporte ou on se tait. Mais la CNV est une méthode qu'on peut appliquer dans des temps différés. Agir maladroitement ou dire quelque chose de blessant peut arriver, mais il est toujours possible de corriger le tir dans un second temps. C'est une preuve d'humilité qui est essentielle dans cette philosophie de vie qu’est la CNV. Il ne faut certainement pas être trop dur avec soi-même, on ne doit pas chercher la perfection."

Pour Julien Lecomte, "il est intéressant d'avoir un point de vue systémique sur nos rapports sociaux. C'est-à-dire ne pas cristalliser nos regards sur le conflit, la frustration sur autrui mais plutôt prendre du recul en tenant compte du contexte (actuellement, celui de la crise sanitaire, par exemple). Tout changement de contexte (l'arrivée d'un bébé, le départ d'un enfant hors du foyer, la retraite, etc.) amorce une crise." Dans le cas du confinement et des restrictions sociales appliquées, notre santé mentale n'a pas été épargnée. "Beaucoup d'acteurs sociaux et médicaux tirent la sonnette d'alarme et s'inquiètent du manque de prise en compte sociale, du mal-être, du stress généré par la situation du Covid et ses conséquences. La CNV vient en complément d'un accompagnement social et psychologique des personnes", prévient Julien Lecomte.


(1) "Gandhi (1869-1948) - Une vie au service de la non-violence", Herodote.net, octobre 2018.

(2) Pour en savoir plus sur les activités et formationsdu réseau de la CNV : Cnvbelgique.be

(3) Pour en savoir plus sur l’université et ses forma-tions : universitedepaix.org

Quelques outils pratiques

Face au sentiment d'exaspération à force de côtoyer les mêmes personnes, parfois 24h/24 avec le confinement, à l'obligation du télétravail ou au stress généré par l'atmosphère anxiogène, la communication non violente offre quelques outils accessibles. En voici quelques exemples avec leurs 'solutions' :

1. "Je ne vois plus clair. Je suis dépassée par le stress et j’ai besoin de décharger mes émotions mais les personnes qui vivent avec moi ne sont pas des personnes ressources dans ce cas" : Martine Marenne recommande de "faire appel à son réseau de girafes de secours : il peut être utile de contacter une personne qui offre une qualité d'écoute, sans forcément attendre des conseils de sa part, sans jugement, pour aider à faire la clarté sur ce qui se passe chez nous, à prendre de la hauteur comme une girafe."

2. "Je n’en peux plus d’être à la maison. Je me sens envahi par l’autre, il m’agace dès qu’il ouvre la bouche" : sentiment légitime au vu de la situation, selon nos experts, qui conseillent de s'octroyer un vrai moment pour soi. Aller faire un tour dehors, lire, rester cinq minutes en plus sous la douche et savourer ce moment, etc. sont des manières de prendre soin de soi pour favoriser des relations de qualité avec l'autre.

3. "Son mail était vraiment froid !" : l'écrit ne permet pas toujours de bien transmettre nos émotions, la marge d'interprétation est alors plus grande. À l'heure du distanciel, le mail et le chat sont des moyens courants de communication. La CNV permet d'identifier à quel point cela peut convenir ou pas et de trouver une alternative si nécessaire. On peut, par exemple, proposer à son interlocuteur de l'appeler par téléphone ou visioconférence. Si ce dernier n'est pas réceptif à notre demande, il est toujours possible de trouver un compromis : continuer avec les e-mails pour échanger de l'info quotidienne mais proposer de faire le point par téléphone pour un échange plus approfondi, par exemple.