Alimentation

Publicité : l'assiette des jeunes sous influence                                         

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Julien Marteleur

Julien Marteleur

"L'influence est une nourriture", écrivait le romancier français Claude Baillargeon dans Les médisances de Claude PerrinIl ne croyait pas si bien dire ! Sur les réseaux sociaux InstagramYouTube ou plus récemment Tik Tok, les influenceurs, par leur statut et leur position médiatique, semblent dicter les habitudes de consommation des plus jeunes. Y compris ce qu'on retrouve dans leur assiette. Du pain bénit pour l'industrie agro-alimentaire, qui se sert de ces superstars numériques comme de véritables "hommes-sandwichs" pour promouvoir leurs marques et produits. La plateforme vidéo YouTubepar exemple, regorge de chaînes "familiales" qui n'hésitent pas à mettre les enfants en scène lors de séances de dégustation de bonbons ou de déballage de paquets de chips XXL La tactique a ceci d'insidieux qu'elle brouille les codes traditionnels de la publicité et joue sur le puissant rapport affectif qui se crée entre l'influenceur et sa communauté, qui compte parfois des millions de membres à travers le monde. 

Un ami qui ne vous veut pas que du bien 
Pour Karine Charry, professeure de marketing à l'UCLouvain, "un enfant, dès l'âge de 5-6 ans, est capable de distinguer une publicité à la télévision d'un autre type de programmes. Parce qu'elle répond à des codes précis (de la musique, un slogan, une durée limitée dans le temps, etc.), la publicité "traditionnelle" est aisément identifiable. Par la suitele placement de produits, au cinéma ou à la télévision, a tenté de brouiller les pistes du marketing conventionnel. Avec les influenceurs, les contours sont encore plus flous", s'inquiète-t-elle. C'est bien là le danger : l'enfant (entre 2 et 17 ans), consommateur fragile par excellence, peut avoir du mal à exercer un quelconque esprit critique face à ce nouveau genre de "maquillage publicitaire"a fortiori si l'ambassadeur d'une marque de chips, de soda ou de bonbons se présente comme un ami sur les réseaux sociaux. "La force d'un influenceur, c'est d'instaurer une relation para-sociale forte avec sa communauté, c'est-à-dire une relation vécue au travers de rencontres médiatisées. En s'invitant dans l'univers numérique de l'enfant ou de l'adolescent, il devient rapidement un ami, un confident. Or, il s'agit bien souvent d'une relation à sens unique", souligne Karine Charry. Ce rapport de proximité n'est pas passé inaperçu auprès de certaines grandes marques de l'industrie agro-alimentaire : quand un ami - ou une personne que l'on admire - nous vante les vertus d'un produit, on est souvent plus enclin à l'adopter également… En 2013, une étude anglo-saxonne (1) a démontré que l'approbation affichée de célébrités pour la nourriture grasse, trop salée ou trop sucrée jouait sur les préférences alimentaires des plus jeunes. Le concept était plus impactant encore avec des "Instagrammeurs", qui créent une proximité plus importante avec leur communauté que les stars de cinéma ou de la télé, par exemple. Cet "effet miroir" fonctionne particulièrement chez les adolescents, principaux consommateurs de réseaux sociaux. "Au moment de l'adolescence, ce qui prime, c'est l'acceptation sociale. Tout ce qui va créer un sentiment d'appartenance à un groupe (les séries, les marques de vêtements mais aussi d'aliments que l'on consomme) acquiert une grande importance"explique Karine Charry. C'est la théorie de l'"apprentissage social" : de nouveaux comportements sont intégrés via l'observation du comportement des autres.  

Cheval de Troie 
Autre "cheval de Troie" publicitaire en vogue : l'advergame digitalcontraction anglophone de "advertisement(publicité) et de "game(jeu). Il s'agit en général d'un jeu vidéo sur smartphone ou tablettedont l'unique but est de… promouvoir une marque. Le support permet aux entreprises d’atteindre plus facilement les consommateurs via le divertissement, un style de communication différent de celui utilisé par les publicités traditionnelles. En 2015, la marque Oasis proposait déjà aux consommateurs de jouer avec ses personnages-fruits emblématiques. Le jeu a été téléchargé… plus de deux millions de fois. Milka s’est également adonné à ce type de jeu avec succès pour faire la promotion d'une nouvelle gamme de biscuits : l’application a été téléchargée plus d'un million de fois et le produit a vu ses ventes augmenter de 17% en six mois ! (2) 
Avec les smartphones, les marques sont littéralement dans la poche des jeunes consommateurs. L’expérience peut être renouvelée à tout moment, partagée sur les réseaux sociaux, vécue à plusieursetc. Cerise sur le gâteau : les marques peuvent récolter un nombre considérable de données transmises gracieusement par les consommateurs en échange de l'expérience de jeu…, "Le problème, souligne la professeure de marketing Karine Charry, c'est que l'industrie agro-alimentaire ne promotionne pas des produits particulièrement sains mais plutôt ceux qui se trouvent à la pointe de la pyramide alimentaire, des produits gras et sucrés, associés au plaisirLdéfaut du secteur de l'alimentation équilibrée, c'est qu'il souffre d'un déficit d'image." Et qu'il peine à toucher une cible démographique qui pèse de plus en plus – malheureusement, au propre comme au figuré – sur ce qui se retrouvera au menu familial. 

Le pouvoir du harcèlement 
PRA : ce sont les initiales de "Principal responsable des achats", autrement dit le membre du ménage qui influence principalement le choix des marques pour les produits d'alimentation, boissons courantes et produits d'entretien pour ledit ménage. Au sein d'une famille, c'est le plus souvent l'un des parents qui joue ce rôle, mais les enfants ont de plus en plus une influence déterminante sur certains produits, notamment alimentaires. C'est le fameux "pester power" (pouvoir de harcèlement), cette capacité à harceler les parents pour leur faire acheter ce qui est désiré. Les "enfants-rois" et autres dictateurs de bacs à sable auraient-ils étendu leur empire au frigidaire familial ? "C'est plus complexe que celatempère la professeure de marketing. À partir des années 70, la structure familiale a profondément évolué. Les parents se sont mis à travailler tous les deux, les moments passés à table en famille se sont raréfiés. En parallèle, l'avènement de la télé a multiplié l'impact de la publicité. L'industrie de la "malbouffe" a également connu un essor, avec les plats préparés, les fast-foods" 

Depuis 2012, le secteur agroalimentaire belge a pris des initiatives pour cadrer la publicité à la télévision, dans les écoles et sur les sites web des entreprises. En juin 2017, ce Belgian Pledge s'est élargi à neuf canaux supplémentaires tels que Facebook et YouTubeles jeux interactifs et le marketing sms et mobile. 52 entreprises se sont engagées à suivre cet engagement et ont récemment implémenté une nouvelle série de mesures, notamment en ciblant désormais aussi Tik Tok : critères nutritionnels plus stricts pour pouvoir faire de la publicité auprès des enfants, élargissement de la charte aux influenceurs, mise en test d’un système de plaintes Si la Belgique semble prendre le problème à bras le corps, il ne faut toutefois pas sous-estimer l’importance de l'univers créé autour des marques, du design des emballages et de la taille des portions, de la visibilité des aliments dans les rayons des magasins (placés à hauteur d'enfant) … Karine Charry le rappelle : l'éducation des enfants comme des parents, à ces nouvelles dérives publicitaires est essentielle (voir encadré Déballe ta pub)"Si on reste dans la régulation, dans l'interdiction, ça ne va pas marcher. Les marketeurs ne vont pas arrêter de faire du marketing et ils auront toujours un coup d’avance sur le législateur… Le développement d'une éducation adaptée à la problématique, dans les écoles comme à la maison, est déjà un bon point de départ." 

 

    Déballe ta pub !

    Infor Santé, le service promotion de la santé de la MC, et Ocarina, l’organisation de jeunesse partenaire de la MC, lancent leur nouvel outil numérique pour les pré-ados: "Déballe ta pub ! L’influenceur de ton assiette, c’est toi".  

    L’objectif de ce nouvel outil pédagogique est de permettre aux enfants de 10-12 ans de prendre conscience des messages véhiculés par la publicité en matière d’alimentation et de développer ainsi leur esprit critique. Il est composé de plusieurs éléments : 

    • 4 vidéos accrocheuses qui abordent, avec humour et légèreté, les stratégies publicitaires, l’omniprésence de la pub, l’impact de la pub alimentaire sur les enfants, le packaging, le placement de produits, le marketing d’influence…  

    • un dossier théorique qui propose un éclairage sur la thématique de la publicité et de l’alimentation, 

    • des fiches synthétiques reprenant les éléments théoriques essentiels, 

    • des pistes pédagogiques en lien avec les vidéos, ayant pour objectif d’outiller toute personne encadrant les jeunes. Celles-ci proposent un canevas d’animation avec des activités permettant à l’enfant de s’exprimer, de confronter son opinion et de se mettre en action. 

    Une conférence en ligne 

    Le jeudi 3 juin à 20h30, Infor santé organise un webinaire intitulé : "Pré-ados sous l’influence de la pub alimentaire: la comprendre pour mieux les sensibiliser". Il est destiné aux enseignants, acteurs de la santé à l’école, animateurs, éducateurs… intéressés par la thématique de l’alimentation et de la publicité. Au programme 

    • Intervention de Karine Charry, professeure de marketing à l’UCLouvain  
    - Évolution de la publicité : mise en contexte et regard critique sur son histoire. 
    Le marketing d’influence : pourquoi et comment ça marche. 
    Sensibiliser les pré-ados au monde publicitaire : pistes concrètes.  

    • Présentation de l'outil "Déballe ta pub! L'influenceur de ton assiette c'est toi". Capsules vidéo et pistes pédagogiques amusantes donneront l'envie de plonger dans cet univers et de décortiquer la publicité alimentaire avec les pré-ados.  

    >> Pour découvrir et expérimenter l’outil "Déballe ta pub!" ou pour s'inscrire au webinaire, rendez-vous sur mc.be/deballe-ta-pub