Droits des patients

Un tribunal international contre Monsanto

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Les initiateurs du tribunal exigent que la notion d’"écocide" émerge dans la réglementation internationale.
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Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

C'est un procès singulier qui va s'ouvrir dans quelques jours à La Haye, aux Pays-Bas. Pendant trois jours, la société civile internationale va décortiquer de A à Z, avec les outils du droit, la stratégie passée et actuelle de la firme agroalimentaire multinationale Monsanto, basée à Saint-Louis (États-Unis). Surtout, ce sont les effets sur la santé humaine et l'environnement des produits commercialisés depuis plus d'un siècle par ce géant industriel qui seront mis en lumière.

Les acteurs de ce procès passeront au crible l'impact de produits aussi toxiques que le 2, 4, 5-T, un des composants de l'"agent orange". Pendant la guerre du Vietnam et bien au-delà, cette molécule a causé des milliers de malformations congénitales parmi la population civile frappée par les pulvérisations aériennes.

Ils s'intéresseront aussi à de nombreux produits de synthèse polluants plus récents, dont certains ont eu un impact sur la fertilité animale et humaine. Si la commercialisation d'une partie d'entre eux est désormais frappée d'interdiction (mais pas partout dans le mon de), leurs résidus restent présents jusque dans les glaces polaires. Ils persisteront pendant de longues décennies dans les cycles hydrologiques de la planète.

Juges et avocats se pencheront aussi sur les organismes génétiquement modifiés (OGM), dont la culture est intrinsèquement liée à la pulvérisation de grandes quantités d'herbicides. Ces derniers éliminent toute végétation sauf l'OGM visé, qui résiste au poison. Parmi ces herbicides, le célèbre Roundup, à base de glyphosate, une molécule dont la firme a longtemps vanté le caractère inoffensif : affirmation aujourd'hui battue en brèche jusqu'au sein de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Au rayon des griefs adressés à la firme, le tribunal analysera aussi sa contribution décisive à un modèle d'agro-business à gros impact sur des millions de paysans du Sud. Leurs terres, jusque-là destinées à des productions vivrières, se voient souvent transformées en usines à maïs et à "biocarburants", qui n'ont de "bio" que le nom.

Les effets sur la santé et l'environnement des produits commercialisés par ce géant industriel seront mis en lumière lors du procès.

Des Belges bien engagés

Ce tribunal symbolique sera-t-il le théâtre d'un défoulement collectif contre Monsanto, éternel souffre-douleur d'une myriade d'ONG environnementales ? Il y a peu de chances. Car s'il ne disposera pas d'un pouvoir d'enquête de police, il n'en revêtira pas moins les habits les plus formels du droit international.

Ce sont cinq "vrais" juges expérimentés qui examineront les six chefs d'accusation relatifs aux atteintes au droit à l'alimentation, à la santé, à un environnement propre et sûr..., mais aussi à l'indépendance de la recherche scientifique.

Parmi ces juges, notre compatriote Françoise Tulkens, ex-vice-présidente de la Cour européenne des droits de l'Homme. Dans le comité organisateur, on trouve le Belge Olivier De Schutter, ancien rapporteur spécial de l'ONU pour le Droit à l'alimentation et éminent spécialiste du droit international. Avec ses étudiants en droit de Louvain-la-Neuve (UCL) et de diverses universités étrangères, il a préparé des mémoires utilisables par les plaignants – une trentaine d'associations (Via campesina, Greenpeace…), issues des cinq continents – et leurs avocats.

En outre, ce sont les principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l'Homme qui serviront de socle au procès : ils énoncent les obligations générales à respecter par les entreprises dans les domaines du droit à la vie, à la santé, à l'environnement.

Le banc de l'accusé… vide

L'assise juridique sera donc solide. Dans le comité organisateur, on trouve aussi la journaliste française d'investigation Marie-Monique Robin. Solidement documenté et multi-primé, son ouvrage de référence Le monde selon Monsanto constitue, depuis huit ans, une épine dans le pied de l'entreprise du Missouri. Avec la précision du chirurgien, l'auteure y avait mis au jour les manoeuvres de l'entreprise – actuelles et anciennes – destinées à faire pression sur les agences sanitaires qui délivrent les autorisations de commercialisation, à financer discrètement les études scientifiques minimisant les impacts environnementaux des OGM, à intimider les organes de presse trop critiques, à semer le doute dans le grand public, etc.

Nul doute que ces stratégies seront également évoquées par les parties civiles présente à La Haye. Sans surprise, Monsanto, invitée à comparaître, sera la grande absente : elle n'a pas répondu à l'invitation. Par voie de presse, le groupe a fait connaître sa position, estimant que les accusations du tribunal sont "basées sur des idées reçues, inexactes et déformées".

Une percée stratégique

Au-delà de la portée didactique de ce procès (le Roundup et d'autres herbicides continuent à être utilisés par de nombreux agriculteurs et particuliers), ses initiateurs ont l'espoir de promouvoir l'émergence d'une nouvelle notion dans la réglementation internationale : l'"écocide".

Actuellement absent du droit pénal international, ce concept permettrait d'inculper des personnes morales et physiques soupçonnées d'avoir commis des atteintes à l'environnement dont les impacts sont à la fois considérables au moment du "crime" mais aussi pour les générations suivantes. Pour cela, il faudrait amender le "Statut de Rome", le traité qui a créé la Cour pénale internationale, entré en vigueur en 2002. Si d'éminents juristes n'hésitent pas à mouiller leur chemise dans le "tribunal contre Monsanto", c'est parce qu'ils ont éprouvé la nécessité, pendant leur carrière, de créer cette pièce manquante au droit et à l'éthique.

Monsanto, bouc émissaire ?

Pourquoi passer par un tel procès, lourd et coûteux, alors que des campagnes de communication ou des manifestations dans les grandes villes du monde, par exemple, auraient pu être privilégiées ? Réponse : parce que, estiment les organisateurs, les procédures en justice lancées contre Monsanto par des individus et des associations, tant au civil qu'au pénal (rares, elles existent néanmoins !), se sont révélées des parcours d'obstacles. Et parce que la multinationale, lorsqu'elle se sent malgré tout en position de faiblesse, parvient généralement à imposer des solutions à l'amiable qui, in fine, lui évitent une jurisprudence défavorable et morcellent les actions de résistance à long terme.

Pourquoi s'en prendre strictement à Monsanto ? Après tout, d'autres groupes chimiques et/ou pharmaceutiques sont également actifs dans la commercialisation de produits toxiques, dans la privatisation de l'usage des semences ou dans la promotion d'un modèle agricole intégré, mécanique et polluant (on pense notamment à Bayer, qui a récemment fait part de son intention d'absorber Monsanto). Parce que la firme internationale, estiment les organisateurs, constitue "un paradigme de l'impunité des entreprises transnationales et de leurs dirigeants qui contribuent (…) au dérèglement de la biosphère et menacent la sûreté de la planète".

Pour en savoir plus ...

>> Plus d'infos : www.monsanto-tribunalf.org. En parallèle aux audiences du tribunal lui-même se tiendra une assemblée qui rassemblera diverses ONG pour des ateliers, tables rondes, etc.