Santé mentale

Accompagner autrement la démence

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La méthode Montessori s’attache à valoriser les capacités préservées de la personne, à mobiliser ses ressources.<br />
© Zumapress BELGAIMAGE
La méthode Montessori s’attache à valoriser les capacités préservées de la personne, à mobiliser ses ressources.
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Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

"Chaque matin, le même scénario se reproduisait à la résidence : la vieille dame pénétrait dans les chambres et retirait les draps des lits, y compris lorsque quelqu'un dormait encore, raconte Cameron Camp, neuropsychologue américain à qui l'on doit l'adaptation de la méthode pédagogique développée par Maria Montessori aux personnes âgées atteintes de troubles cognitifs (lire ci-dessous). Le personnel ne savait plus que faire. Lorsque l'on m'a soumis cette situation, j'ai posé des questions pour savoir qui était cette femme. Elle avait travaillé toute sa vie comme femme de chambre dans l'hôtellerie. Sous mon conseil, l'aide-soignante a invité cette dame à refaire son propre lit avec elle. Puis, voyant qu'elle s'y appliquait, elle lui a demandé de l'aider à faire de même dans les chambres voisines. Depuis ce jour, cette dame aide régulièrement le personnel à changer la literie. Elle n'a plus jamais reproduit son comportement problématique…"

Des histoires telles que celle-là, C. Camp peut en raconter des dizaines puisées dans les institutions qui, aux États-Unis et en Europe, appliquent la méthode Montessori. Ici, un ancien pompier constamment aux aguets la nuit a retrouvé la sérénité depuis qu'il épaule le personnel de sécurité de la maison de retraite. Là, une vieille dame s'est mise à donner des cours d'anglais, tandis qu'une autre a réalisé le rêve de sa vie grâce à un bénévole : apprendre à jouer du piano. Des "miracles", il s'en produit aussi de manière collective. Ainsi, en Oregon, des résidents se sont lancés avec succès dans la fabrication et la commercialisation de bières. À Avignon, les résidents d’une unité spécialisée Alzheimer ont conçu et présenté un spectacle dans lequel ils se racontent et partagent des tranches de vie…

"Aide-moi à faire seul"

"Très souvent, on se focalise sur la pathologie, les déficits de la personne atteinte de démence, souligne C. Camp. Résultat : on fait à peu près tout à sa place. Souvent aussi, on ne lui propose plus d’activités car on se dit que de toute façon, elle les oubliera. Dans la méthode Montessori, on s’attache, au contraire, à valoriser les capacités préservées de la personne, à mobiliser ses ressources. On veut lui donner une raison de se lever le matin et lui permettre de vivre de manière la plus autonome et la plus heureuse possible dans un environnement s’adaptant à elle et lui permettant d’exploiter son potentiel. L’objectif est de redonner à la personne un contrôle sur sa vie et un rôle social dans la communauté, de lui permettre d’être traitée avec respect et dignité".

"Il faut commencer par observer la personne : quelles sont les capacités qui lui restent sur le plan social, sensoriel, moteur et cognitif, conseille Jérôme Erkes, neuropsychologue en charge du développement de la méthode Montessori en Europe via l’organisme français AG&D. Il importe aussi de savoir ‘qui est la personne’ en recueillant auprès d’elle et de son entourage des éléments de sa vie, ses préférences, et de les rassembler dans un dossier consultable par l’ensemble du personnel. Par la suite, il s’agit alors de lui proposer des activités adaptées à ses capacités, ses goûts, son caractère. Aucune n'est imposée, la notion de choix est centrale. Et si elle a oublié ce qu'elle a fait, peu importe. C'est ressentir, vivre qui est important".

"Contrairement aux idées reçues, la personne atteinte de démence est capable d'apprendre", assure le neuropsychologue américain. Si la mémoire déclarative – qui permet d’enregistrer des souvenirs d’événements ou d’associer un mot à ce qu’il représente – est altérée, la mémoire procédurale – celle des gestes, habitudes et automatismes – continue de fonctionner même lorsque les troubles cognitifs sont sévères. "Ces gestes encodés dans le cerveau doivent être réveillés, stimulés par l’expérience. Il faut les montrer à la personne, l’inviter à faire de même".

Participer à la préparation du repas, décorer les tables, couper des fruits, entretenir le jardin... "À chaque fois que c'est possible, on demande au résident ce qu'il souhaite faire, ajoute Jérôme Erkes. On ne sait pas à l'avance si l'activité va fonctionner. Mais on ne perd rien à essayer". Pour que la personne puisse réussir ce qu’elle entreprend – ce qui renforce son estime de soi – l’adaptation de l’environnement est nécessaire. Cela passe notamment par l’utilisation d’outils tout simples : des sets de table sur lesquels sont imprimés assiettes, couverts et verres, un écriteau placé au-dessus d’un balai sur lequel est indiqué "utilisez-moi"…

Des comportements problématiques ?

Apathie, agitation, agressivité et anxiété. Pour C. Camp, ce sont bien souvent l’absence d’activités, la privation de liberté et la perte de repères qui engendrent des comportements problématiques chez la personne atteinte de démence. "Tout ce qui ne peut être mémorisé dans le cerveau doit être écrit ou illustré à l’extérieur, assène le neuropsychologue. Il faut l’aider à retrouver par elle-même les informations qui répondront à son angoisse. Par exemple, on lui montrera que, dans le cahier situé sur sa table de lit, elle a paraphé avoir reçu ses médicaments à tel moment. C’est très important. Car le fait d’être libéré de l’anxiété offre une meilleure qualité de vie. Bien souvent aussi, l’usage de certains médicaments se réduit¨, constate-t-il.

"Pour les professionnels, cette approche bouscule les habitudes de travail, convient Jérôme Erkes. Mais dans les institutions qui ont emprunté ce chemin, le personnel a retrouvé de l’enthousiasme. Quant aux familles, combien ne disent-elles pas qu’elles sont apaisées, qu’on leur a rendu le proche qu’elles avaient perdu…"

"Nous devons traiter ces personnes comme nous voudrions être traités, résume Cameron Camp. Et créer des lieux où l'on aurait envie de vivre soi-même plus tard".

Maria Montessori, visionnaire

La méthode développée par Maria Montessori, 1ère femme médecin en Italie au début du 20e siècle, cherche à favoriser autonomie et confiance en soi chez l’enfant, en lui permettant d'évoluer à son rythme, en se centrant sur ses aptitudes et en créant du matériel et un environnement adaptés.

Père d’un enfant handicapé fréquentant une école Montessori, le professeur américain Cameron Camp s’est aperçu, au début des années 90, que cette approche fonctionnait tout aussi bien avec les personnes âgées atteintes de troubles cognitifs. Depuis lors, la méthode, ses outils et ses effets bénéfiques ont été validés par de nombreuses études scientifiques dans le monde.

Pour en savoir plus ...

www.ag-d.fr d’AG&D fourmille d’informations et témoignages (notamment vidéos). Plus d’infos sur les formations et l’accompagnement méthodologique en Belgique : 0472/77.81.55. • www.facebook.com/SeniorMontessori