Prévention

Périls en la demeure

6 min.
© Marc Detiffe
© Marc Detiffe
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Trois mois d’enfer”. C’est ainsi que Jonathan qualifie la dernière période de sa vie. Alors qu’il pratique régulièrement le jogging, ce jeune homme de 33 ans se retrouve soudain incapable de monter une volée d’escalier. Plus de souffle! Le simple fait de se déshabiller l’épuise. Avec son pneumologue, il s’interroge et réalise une longue série d’examens cliniques. On pense au cancer, mais la biopsie est rassurante. On analyse ses antécédents, on cherche les allergies. Le résultat? Rien. Mystère total. Même sa consommation épisodique de marijuana est mise hors cause. Certes, les médicaments le soulagent. Mais la racine du problème demeure inconnue. Un seul élément semble déterminant: c’est peu après son déménagement que les symptômes sont apparus.

Troublé, son médecin contacte le Sami, le Service d’analyse des milieux intérieurs de la Province de Namur. Il y a quelques jours, celui-ci débarque dans la petite maison sociale de Jonathan, pas loin de Namur, avec armes et bagages: détecteurs de radon et de formol, thermomètre scanner, pochettes à charbon de bois, etc. Catherine Keimeul, responsable du service, questionne le jeune homme sur ses habitudes, examine les pièces, touche les murs, visite la cave, réalise des prélèvements d’air et de poussières. “Aucune tache d’humidité. Rien de visible sur les parois ni les plafonds. Il s’agit peut être d’un manque de ventilation, couplé à la présence de bactéries ou de champignons microscopiques. Après la mise en culture des échantillons prélevés aujourd’hui, on en saura sans doute plus.

Acariens et champignons

Combien sont-ils, comme Jonathan, à se demander si, faute d’autre explication convaincante, le lieu de vie n’est pas à la source de bien des ennuis de santé? Personne ne sait au juste, mais les différents Sami – tous provinciaux, sauf à Bruxelles – voient leur liste d’attente s’allonger. Depuis douze ans, ces équipes spécialisées traquent sans relâche les substances – naturelles ou artificielles – qui hantent nos logis, pas forcément pour notre bien. Le radon, d’abord, ce gaz incolore et inodore mais radioactif, issu ici et là du sous-sol; le formaldéhyde (formol), l’un des composés organiques volatiles les plus connus (parmi une quarantaine d’autres COV susceptibles d’être présents dans l’habitat); l’amiante, bien sûr; les résidus des vieilles fibres d’isolation en suspension dans l’air (laine de roche et de verre); les acariens, ces minuscules araignées dont les déjections peuvent être allergisantes; mais aussi, et surtout, l’ennemi numéro 1, responsable – dans les habitats trop ou mal isolés! – de 65% des problèmes de pollution intérieure: les moisissures (Ulocladium, Aspergillus, ...) et les bactéries (Micropolyspora, Thermoactinomyces…).

Toutes les maladies ne sont pas nécessairement aussi invalidantes que celle de Jonathan, loin s’en faut. Parfois, il s’agit de petits bobos, mais suffisamment récurrents pour empoisonner la vie quotidienne, particulièrement celle des enfants: migraines, toux, rhinites, gorges sèches, picotements des yeux, etc. “A partir de sifflements initiaux, on passe souvent à la bronchiolite, puis à la bronchite, constate Catherine Keimeul. Et cela peut se terminer par de l’asthme : plus grave!”. Les troubles peuvent aussi s’avérer cutanés, digestifs ou neurologiques.

Des colles appétissantes

Les polluants se nichent parfois dans les endroits les plus insoupçonnés. En grande quantité, la redoutable moisissure Stachybotry atra affectionne particulièrement la colle des papiers peints. Réputée pour sa toxicité, elle peut être dangereuse, voire mortelle, en raison des mycotoxines qu’elle libère. Parmi les pièges auxquels certaines personnes plus fragiles ou déjà malades réagissent très mal, on trouve les hydrocarbures dégagés par la combustion des bougies, le carbonyle et la créosote émis par les billes de chemin de fer décoratives traitées contre la pourriture du bois, le latex de certaines plantes d’ornement, et jusqu’aux gouttelettes perlant de leurs feuilles.

Panique dans les logis? Pas si vite. “Le bon sens suffit souvent pour régler le problème, estime la pharmacienne du Sami namurois. En un quart d’heure, l’affaire est réglée”: évacuer la plante verte incriminée, déplacer la cage du hamster ou du cobaye, éviter les meubles en aggloméré, cesser le tabagisme. Dans l’écrasante majorité des cas, il y a une règle d’or : ventiler ! C’est-à-dire ne pas se contenter d’aérer. La ventilation consiste à assurer une circulation d’air entre deux ouvertures afin de renouveler celui-ci. La simple aération, elle, ne renouvelle pas assez l’air. En période froide et humide, elle laisse échapper la chaleur tout en favorisant la condensation, source d’humidité que les bactéries et moisissures adorent !

Problème concomitant : l’omniprésence de molécules chimiques. “Les gens devraient arrêter de shampouiner sans cesse leur logement” s’inquiète le Dr Alain Nicolas, directeur du Sami de Liège et pilier du réseau. “Dommage qu’il faille près de trente ans pour faire interdire un produit dangereux, ajoute-t-il. Face aux pressions du monde économique, le monde politique n’ose plus légiférer. Pour lutter efficacement contre le radon, il suffirait de trois lignes dans la réglementation urbanistique obligeant à installer une membrane en-dessous de toutes les nouvelles habitations. Le prix est dérisoire”.

Cas désespérés

Evidemment, tous les problèmes ne peuvent se résoudre sur un coup de baguette magique. “Parfois, nous visitons de tels taudis que la seule solution pour les occupants consisterait à déménager, déplore Catherine Keimeul. Pour beaucoup de gens, c’est impossible. Nous ne pouvons plus que les orienter vers les services sociaux”. Autre exemple d’impasse: les habitats criblés de produits de protection du bois (planchers, lambris, poutres). Là, impossible de se débarrasser du produit, même par ventilation. “L’engouement pour l’isolation et les maisons passives doit absolument aller de pair avec un système de ventilation intelligente” avertit par ailleurs le Dr Nicolas, louchant vers l’intérêt de la domotique.

Enfin, reste la question de plus en plus brûlante des ondes électromagnétiques. Au Grand-Duché de Luxembourg, pays pionnier dans la lutte contre les pollutions intérieures, les plaintes liées aux appareillages électriques ou multimédias et aux relais de télécommunications se multiplient. Chez nous, pas encore. Mais, dans certains Sami, on s’attend à un afflux prochain. Comment réagir face à un sujet aussi controversé ? “Toute plainte médicale mérite d’être prise en considération, commente le Dr Nicolas. Il n’y a évidemment pas d’épidémie dans ce domaine mais je ne doute pas qu’il existe des personnes hypersensibles à ce type d’ondes, comme il en existe aux poivrons ou aux oignons…” Il y a douze ans, en créant le Sami de Liège, le Dr Nicolas avait misé sur sa disparition dix ans plus tard, par épuisement des problèmes à traiter. Excès d’optimisme, sans doute…

Accessibles et neutres

Les différents Sami provinciaux, tous autonomes, sont des services gratuits(1). En règle générale, le Sami ne se déplace pas dans les collectivités de type crèches, écoles, bureaux, etc.(sauf provinciales). Il ne fonctionne qu’à la demande d’un médecin, à qui le rapport de visite est systématiquement envoyé. Bien que régulièrement surnommé “ambulance verte”, il n’intervient pas en urgence. Il n’a aucun pouvoir de contrainte, ni dans les conflits locataires/propriétaires, ni dans l’obtention du statut de “logement insalubre”. Quelques mois après la visite à domicile, l’évaluation des mesures préconisées est réalisée par téléphone. Selon une évaluation récente, le Sami solutionne le problème dans 27% des cas. Et le résout partiellement dans 62% des cas.


 

Courants mais pas banals

Voici, brièvement, quelques-uns des polluants intérieurs les plus souvent rencontrés par les Sami. Plus de détails auprès de ceux-ci.

© Marc Detiffe

Radon : gaz inodore et naturel, radioactif. Près de 700 décès par an en Belgique (cancer du poumon). S’infiltre dans l’habitat par les fissures. Une maison peut être touchée dans une rue, celle d’à côté rester indemne… Remède : ventiler, colmater les brèches. Pose d’un pare-radon (membrane étanche en plastique spécial) lors de la construction.

Acariens : les fientes de ces arachnides peuvent être allergisantes (dermatites, rhinites, asthme…). Présentes dans literies, fauteuils en tissu, tapis, peluches… Remèdes : mieux réguler température et humidité ; limiter drastiquement la poussière ; utiliser une house spéciale pour literies… Les aspirateurs spéciaux ne sont efficaces qu’avec des filtres ad hoc, très régulièrement remplacés.

Pesticides : présents dans les produits et appareillages anti moustiques, dans les produits de protection des plantes des animaux de compagnies ou du bois contre les insectes et champignons. Risques divers pour le foie, les systèmes digestif, immunitaire, etc. Remède : bannir de telles molécules chimiques à l’intérieur et ventiler.

Monoxyde d’azote : inodore, résultat d’une mauvaise combustion dans les appareils de chauffage. Danger de mort ! Signes annonciateurs : nausées, maux de tête, vomissements… Remède : ventiler en urgence et, surtout, réparer l’appareil !

Formaldéhyde : présent dans la plupart des meubles en bois aggloméré et contreplaqué, il se relâche petit à petit. Aussi présent dans certains matériaux isolants. Et jusque dans les tentures rigides. Symptômes : irritations des yeux, migraines, nausées, somnolence. Suspicion de cancer. Remède : ventiler.

Laines de roche et de verre : vieilles et/ou mal placées, elles se décomposent en fibres qui peuvent engendrer une irritation cutanée et des voies respiratoires supérieures, gorge sèche, toux . Remède : remplacer.

Conseil général : se méfier des produits miracles, vendus notamment sur le Net. Exemple type: certains ficus qui seraient efficace contre le formaldéhyde, le lierre soi-disant actif contre le benzène et les odeurs de tabac… Autre attrape-nigaud soulevé par les Sami : les cactus absorbeurs d’ondes électromagnétiques. En fait, ils sont souvent allergisants!