Environnement

Pas touche au Roundup® !

6 min.
© EASYFOTOSTOCK BELGAIMAGE
© EASYFOTOSTOCK BELGAIMAGE
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Chaque automne, dans nos régions, certains champs de pommes de terre perdent soudain leur couleur verte et, en quelques jours, finissent par arborer une couleur brune assez étonnante. En cause jusqu’il y a peu, le Roundup®. Aujourd’hui, d’autres herbicides défoliants ont pris le relais. Ce procédé de défanage chimique, plus commode et moins onéreux que le défanage mécanique, n’a d’autre objet que d’éviter le bourrage des machines par les feuilles du végétal lors de la récolte. En éradiquant la végétation, on va plus vite. L’agriculteur à la manœuvre est censé respecter certaines conditions de travail, notamment le délai entre le traitement chimique et la récolte, pour éviter que les tubercules ne soient encore porteurs de la molécule active tueuse du végétal (le glyphosate ou le glufosinate ammonium) lors de l’entrée dans la chaîne alimentaire.

L’année dernière, c’est à un autre spectacle, printanier et plus inhabituel celui-là, que les habitants des campagnes ont eu droit. Épargnées par un hiver trop doux, les cultures destinées à enrichir les terres agricoles pendant la mauvaise saison, ont été "achevées" aux mêmes herbicides. En quelques jours, place nette fut ainsi faite aux cultures suivantes. Ces pulvérisations ont - un peu - ému les médias. À une telle saison, généralement bien arrosée, les produits toxiques n’allaient-ils pas percoler ou ruisseler rapidement vers les rivières et eaux souterraines ? Très vite, la page a été tournée. Après tout, le Roundup jouit, depuis quarante ans, d’une réputation de faible rémanence (persistance) dans l’environnement, couplée à une efficacité maximale.

Oui, mais voilà : depuis le 20 mars dernier, il y a un grain de sable dans cette mécanique. Ce jour-là, l’IARC, l’agence de l’OMS spécialisée dans la recherche sur le cancer, publie une note et un article établissant le caractère "cancérogène probable pour l’homme" de deux insecticides organophosphorés mais aussi du fameux herbicide glyphosate, tandis que deux autres insecticides sont  qualifiés de "cancérogènes possibles". "Quelle que soit la classification adoptée, l’IARC n’a pas l’habitude d’agir à la légère, commente Bruno Schiffers, responsable du Laboratoire de phytopharmacie à Gembloux Agro-Bio Tech (ULg). Les produits ainsi ‘classés’ par elle ne sont d’ailleurs pas nombreux".

Dans les urines humaines

Le communiqué de l’IARC met en avant les risques courus par les utilisateurs réguliers du glyphosate : les agriculteurs et les gestionnaires des espaces publics. Ceux-ci sont principalement exposés au risque de développer un cancer de la lymphe de type "lymphome non-hodgkinien". Mais l’IARC s’inquiète aussi d’une étude ayant relevé des dommages aux chromosomes des riverains de champs pulvérisés avec ce produit. "Chez nous, précise le Pr Schiffers, on trouve régulièrement des résidus de glyphosate ou de ses métabolites (produits de décomposition de celui-ci) dans les eaux souterraines et jusque dans les aliments". L’éliminer via des filtres à charbon actif coûte cher aux sociétés de distribution d’eau, donc à la collectivité. "Certes, pour les aliments, les normes applicables aux résidus sont rarement dépassées. Mais les doutes croissent sur l’efficacité de ces normes dès lors qu’on considère les effets possibles des "cocktails" de polluants à long terme sur la santé".Nous sommes en effet exposées simultanément à des dizaines de produits chimiques ; certes à faible dose, mais dès la prime enfance et pendant des décennies. Parue en 2014 dans le journal scientifique "Environmental & Analytical Toxicology", une étude menée en Allemagne et au Danemark a abouti à un constat inquiétant sur la présence anormalement élevée de résidus de glyphosate dans les urines et certains organes du bétail nourris avec des OGM, mais aussi dans les urines humaines. D’une autre étude allemande, on sait enfin que le glyphosate a un effet sur la flore intestinale des bovins (nourris aux OGM). Certains chercheurs s’interrogent sur les liens possibles entre l’utilisation croissante du glyphosate en céréales et l’explosion des intolérances au gluten chez l’homme.

Les lobbies au front

Coccinelle sur une feuille

Fin 2015, l’IARC publiera un rapport complet sur le glyphosate et les autres pesticides incriminés. On saura, alors,si l’agence maintient ses fortes présomptions quant au rôle du glyphosate sur le cancer. Une échéance capitale car, à peu près à la même époque (fin 2015), la molécule en question sera évaluée en vue du renouvellement de son autorisation commerciale par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et la Commission européenne.

Certains pays interdisent déjà les épandages de glyphosate sur leur territoire : Sri Lanka, Colombie... Plus près de nous, les Pays-Bas ont interdit le produit aux particuliers et services communaux, et envisagent de le faire pour tous les usages agricoles de prérécolte. Fort de son expérience de formateur pour les professionnels au contact des produits phytopharmaceutiques, le Pr Schiffers estime qu’une telle mesure de bon sens mériterait d’être imitée chez nous. Avec des associations de défense de la santé et de l’environnement (1), il réclame le retrait des jardineries de tous les herbicides de synthèse prêts à l’emploi. "Il est très fréquent que les particuliers surdosent les quantités prescrites, inhalent le produit ou entrent à son contact via la peau. Or celle-ci est une voie d’entrée dans l’organisme tout aussi redoutable".

Depuis l’annonce de l’IARC, plusieurs grandes enseignes néerlandaises,suisses, allemandes et luxembourgeoises ont retiré les produits à base de glyphosate de leurs rayons. En France, ceux-ci ne devrai ent plus être accessibles, à partir de 2016, que derrière un comptoir tenu par un vendeur. Chez nous, rien n’est simple… Carlo di Antonio, le ministre wallon de l’Environnement, a réclamé au gouvernement fédéral, compétent, l’interdiction de mise en vente aux particuliers, sans remettre en question les utilisations agricoles. Quant aux utilisateurs professionnels, vendeurs et conseillers, ils doivent suivre des formations spéciales donnant accès à des "phytolicences", obligatoires à partir de novembre 2015.

Bientôt une interdiction généralisée du Roundup et consorts ? Le Pr Schiffers fait remarquer que le pays qui instruit actuellement le dossier de réévaluation sanitaire du "glyphosate" est l’Allemagne. Un pays où l’agriculture conventionnelle a de l’influence. Beaucoup d’influence.


Une toxicité sous-évaluée

Le Roundup est l’herbicide le plus vendu au monde, notamment parce qu’il va de pair avec l’essentiel des cultures d’organismes génétiquement modifiés (OGM), en pleine expansion dans le monde. Les variétés de maïs modifiées, par exemple, ont été mises au point précisément pour résister aux pulvérisations de Roundup alors que, partout aux alentours, les mauvaises herbes meurent sous l’effet du glyphosate.

Vanté dès l’origine comme un pesticide respectant l’environnement, voire "biodégradable", le Roundup a vu plusieurs fois sa maison mère – Monsanto – attaquée en justice aux États-Unis et en France pour publicité mensongère (1). Trop tard, trop loin : aujourd’hui encore, sa réputation de pesticide "doux" reste profondément ancrée dans les mentalités des professionnels, mais aussi dans celles des jardiniers amateurs. La moindre jardinerie de village dispose d’ailleurs de stocks accessibles en vente libre, promotionnés dès que le printemps poin te son nez.

Subtilité de l’affaire : la toxicité d’un tel pesticide ne tient pas seulement à sa molécule dite "active", mais aussi aux multiples adjuvants utilisés en combinaison, sans lesquels le produit ne peut pénétrer au cœur de la plante. Or, ces adjuvants ne sont testés que depuis 2009 sur leur toxicité chronique (à long terme). Jusque-là, ils faisaient l’objet de secrets commerciaux jalousement protégés par les firmes.


 (1) Lire l’ouvrage "Le monde selon Monsanto", de Marie-Monique Robin, éd.La Découverte/Arte 2008.

Du neuf pour les bords de rue wallons

Depuis le 1er septembre 2014, les particuliers, en Wallonie, ne peuvent plus répandre les pesticides sur les trottoirs. Mieux : il leur faut, en plus, respecter une zone d’un mètre le long des trottoirs, voiries, terrasse, allées .. si ceuxci sont reliés au réseau de collecte des eaux de pluie. Cette nouvelle réglementation est bienvenue pour l’environnement et… le poste "épuration" de nos factures d’eau.

Problème : qui vérifie ? Qui sensibilise ? Qui, le cas échéant, sanctionne ? Les gardes champêtres ? Disparus ! Les zones de police ont d’autres chats à fouetter. Les "agents constatateurs" et "agents sanctionnateurs" communaux sont peu sensibilisés au problème. Le département "police et contrôle" (l’ex Police de l’environnement, DPE), lui, ne s’est jamais fait au mot "police" de son appellation et n’impressionne guère le micro-pollueur. Pas étonnant que les pulvérisations continuent dans nos bourgs et villages. En ordre dispersé, les communes y sont allées de leurs toutes-boîtes explicatifs. Il faut dire qu’elles sont, elles aussi, dans un corset : au printemps 2019, au plus tard, elles devront avoir définitivement banni les pesticides de leurs espaces publics. "Il faut un gendarme, reconnaît-on à bonne source. Le plus souvent, c’est encore l’ignorance qui prévaut". Faute d’évaluation rigoureuse d’ici deux ou trois ans, on en sera réduit à ce constat si fréquent en matière d’environnement : pondre des décrets et arrêtés, c’est bien ; veiller à leur applicabilité, c’est encore mieux. De préférence, avant leur promulgation.