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"Nous sommes enchevêtrés avec la nature"

© FOTOSTOCK BELGAIMAGE

L'expression largement usitée au fil des décennies : "Y a plus de saisons, ma bonne dame" ne souffre pas d'usure. Son avenir semble même assuré… Et si nous allions au-delà du quotidien météorologique ? Et si nous étions amenés à (re)penser notre rapport à la nature, en profondeur ? De plus en plus de voix s'élèvent pour le réclamer… avec urgence. Voici tout juste un an, l'appel était pontifical : surprenant et secouant.


L'hiver 2016 a mis du temps à nous arriver. Il a joué les prolongations en mars. Avril s'est montré très frais. Et la fin mai a été particulièrement bouleversante : averses violentes, grêlons, orages et leur lot d'inondations dramatiques. Ci et là les climatiseurs sont pourtant prêts à déployer leurs effets rafraîchissants pour l'utilisateur, délétères pour la planète…

À causer du temps qu'il fait, on ressort avec une impression de chaos. Or, on nous prédit – si rien ne change radicalement dans nos attitudes environnementales – davantage d'événements climatiques extrêmes dans le futur. Les prudents prévisionnistes rappellent qu'il est "toujours très délicat de lier un événement pris isolément au changement climatique. C'est sa récurrence dans les prochaines années qui serait un élément à prendre en considération".

Mais le site Météo Belgique d'ajouter "Ceci dit, des fins de printemps et des étés humides et orageux risquent de devenir plus fréquents dans le futur, surtout comme pour cette année, après une année à dominance El Niño, donc avec globalement des températures – et donc une évaporation des mers – plus hautes que la normale."

La "grande détérioration"

Pas de corrélations établies strictement donc à ce stade. Mais de très fortes présomptions. Et une convergence solide entre spécialistes pour indiquer que nous sommes en présence d'un réchauffement plus que préoccupant. Parmi les appels à changer d'orientation, sortait de presse, voici un an, une encyclique du pape François où sciences et spiritualité se renforcent mutuellement. L'opus, facilement accessible, aborde dans le détail et de manière frontale "la grande détérioration de notre maison commune".

Laudato si' – son titre : en référence à un cantique de Saint François d'Assise, connu pour sa proximité avec la nature et les plus pauvres – interpelle l'humanité dans son ensemble. Il serait grand temps de sortir de la spirale de l'autodestruction qui épuise les ressources, réduit la diversité dans la nature, dans les cultures…, accumule les déchets, détruit la terre, creuse les inégalités… Il serait temps de "prendre conscience de la nécessité de réaliser des changements de style de vie, de production et de consommation".

La spiritualité au-delà des chapelles

Ce texte est "providentiel", indiquent aussi des non-croyants comme le philosophe Edgar Morin. "Un texte inattendu et qui montre la voie" alors qu'un "désert de pensée" règne sur notre temps, estime le penseur à l'aura importante. Laudato si' en appelle à la conversion de tous. Ne nous y trompons pas, l'encyclique ne regorge pas d'intentions prosélytes ou évangéliques, elle n'enjoint pas à rejoindre les rangs de l'Église catholique.

La conversion réclamée se veut écologique, profonde et intérieure, avec pour base "la conscience d'une origine commune, d'une appartenance mutuelle, d'un avenir partagé" par tous les êtres qui peuplent l'univers. "Nous sommes enchevêtrés avec la nature", rappelle la lettre papale. Et pourtant, dans notre économie centrée "autour du gain, il n'y a pas de place pour penser au rythme de la nature, à ses périodes de dégradation et de régénération, à la complexité des écosystèmes […]". L'utilitarisme domine, pragmatisme superficiel et de court terme, aux conséquences sociales également désastreuses.

"Plus le coeur d'une personne est vide, plus elle a besoin d'objets à acheter, à posséder, à consommer."

Dépouillés du superflu

En toile de fond, l'encyclique invite à redéfinir ce que l'on appelle le progrès. Dans ce sens, il s'agirait de soutenir par exemple des leadership et des développements technologiques au bénéfice de tous, y compris les moins nantis, y compris les générations futures. Il s'agirait également de rendre infranchissables certaines limites normatives pour protéger l'environnement naturel et social. Etc. Mais il s'agirait aussi d'aller plus en profondeur. Car aucun dispositif ne tient la route s'il ne bénéficie d'un ancrage dans les habitudes de chacun, dans ses convictions profondes. Et c'est sans doute là que le bât blesse, plus qu'ailleurs ; là que Laudato si' détonne.

"Plus le cœur d'une personne est vide, plus elle a besoin d'objets à acheter, à posséder, à consommer", estime l'homme d'Église. François plaide avec conviction pour ce "moins qui est plus", pour une forme de simplicité volontaire, de dépouillement empli d'"austérité responsable", de "contemplation reconnaissante du monde", de "protection de la fragilité des pauvres et de l'environnement". Vaste renversement vers davantage de sens, de profondeur, de présence… À méditer activement.