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L'opportunité d'une crise

L'opportunité d'une crise © Belga

L’impact de la grève des agents pénitentiaires sur les conditions d’incarcération des détenus provoque l’indignation. Pourtant, d’autres problèmes, ceux-là structurels, contrarient depuis belle lurette une des principales missions de la prison : réinsérer. 


Piquets à Lantin, Saint-Gilles, Andenne… Les négociations entre le Ministre de la Justice et les syndicats n'aboutissent pas, et la détermination des grévistes ne semble pas entamée. C’est peu dire que le plan de rationalisation de Koen Geens a du mal à passer. Parmi d'autres coupes budgétaires, les 10% de réduction de masse salariale qu’il prévoit se heurtent à la principale revendication des grévistes : un nombre d’effectifs suffisant. De 8.204 en 2014, leurs troupes sont actuellement réduites à environ 7.000 agents.

Derrière les barreaux, les détenus subissent de plein fouet les effets de ce débrayage. Le Comité européen en charge de surveiller la torture et les traitements dégradants (CPT) a plusieurs fois alerté sur les conséquences des arrêts de travail en prison : "accès limité des détenus à l'alimentation, à l'hygiène et aux soins de santé, activités compromises, de la même façon que les contacts avec leurs avocats et l'accès aux visiteurs, lequel est restreint." C'est précisément ce qui se passe aujourd'hui. Ils vivent l’enfer. Pour autant qu'une privation pure et simple de leurs droits fondamentaux puisse s’y apparenter. 

Des problèmes structurels

Bien avant les grèves persistaient déjà des difficultés récurrentes dans les prisons du pays. "Les problèmes découlant de la surpopulation carcérale en Belgique, ainsi que les problèmes d’hygiène et de vétusté des établissements pénitentiaires revêtent un caractère structurel " écrivait en 2014 la Cour européenne des droits de l'homme. Le temps passant, les charges à l'encontre de l'état belge s'accumulent : "violence carcérale, suicides, conditions de détention dramatiques des internés, détournement des normes législatives au profit d'une application 'ultra sécuritaire'…", listait déjà en 2008 la section belge de l'Observatoire international des prisons. Elle le répétait en 2013 : "la situation ne s'est pas améliorée, de nouveaux problèmes sont apparus".  

La sécurité avant tout

Le projet carcéral poursuit principalement deux objectifs : protéger la société des individus jugés dangereux et aider ces derniers à la réintégrer une fois leur peine accomplie. Mais aujourd’hui, l’un empiète sur l’autre et l'on voit l’option sécuritaire privilégiée : plus de prisons, plus de cellules, plus de détentions préventives (près de 36% de la population carcérale). Aussi est-il questionnant de voir cette option renforcée lorsqu'elle génère et entretient la surpopulation, lorsqu'elle produit plus de récidive (+/- 50%) que de résultats concluants. Et à quel coût ! 40 millions annuels pour la location des 650 places à Tilburg (Pays-Bas). Plus de 53 millions pour les entreprises privées qui construisent et assurent la maintenance des établissements de Marche-en-Famenne, Beveren, Leuze-en-Hainaut et Termonde. Et le méga-projet de prison de Haren, s’il est concrétisé en Région bruxelloise : 40 millions annuels durant 25 ans. 

Dans ce contexte, peu de moyens sont mobilisables pour la réinsertion des détenus. Faire en sorte qu'ils quittent la prison meilleurs que le jour où ils y sont rentrés est pourtant un axe central de la politique carcérale. "La peine à purger doit être un temps de sanction et un temps utile durant lequel le condamné et ceux qui l'accompagnent s'activent à un plan de détention devant conduire à la réinsertion ", précise la Loi de principes, toujours pas appliquée dans son entièreté dix ans après son adoption par le Parlement. La prison reste une "mise à l’écart" dans un lieu où l'on ne prépare pas l'avenir.

Une opportunité à saisir

Concentrer la présence des gardiens entre 8 et 16 heures est un des souhaits du ministre Koen Geens. Durant ce laps de temps devront être opérés "les mouvements" : visites, cours, sortie au préau, travail, culte, coups de fil… Cet horaire restreint risque de contrarier les familles des détenus. Nombre d'entre elles manifestent d'ailleurs une certaine solidarité avec les grévistes car elles savent que les conditions de travail de ces derniers impactent les conditions de détention de leurs proches.  

À leurs côtés, des directeurs d'établissements ne sont pas totalement opposés aux revendications exprimées par leurs employés. Marc Dizier, responsable de l'établissement d'Andenne, annonçait "une situation intenable !".

Enfin, représentants des avocats, Ligue des Droits de l'homme, acteurs et associations de terrain, citoyens… dénonçaient "le désastre carcéral" le 20 mai dernier face au palais de Justice. Selon eux, la détention représente l'ultime remède. Et si elle a lieu, le Plan de détention prévu par la Loi de principes doit être mis en œuvre pour permettre la réinsertion du détenu dans la société libre. Cette "esquisse du parcours de détention", idéalement rédigée individuellement avec chaque détenu, contient des activités axées sur la réparation des torts causés, des propositions de formations, un accompagnement psychosocial… Mais ce plan n'est actuellement mis à l'essai que dans quelques prisons. "Il est urgent que la Belgique se donne de vrais moyens pour sa politique pénitentiaire, proclame l'assemblée. Et qu'elle remette à zéro ses plans avant de déterminer quels sont les besoins".

Agents pénitentiaires, directeurs de prison, familles, avocats, associations… s’unissent pour réclamer un tournant de la politique pénitentiaire. L’union de ces acteurs justifie à elle seule l’ouverture du débat.